De Dr. Bri­git­te Streich, anci­en­ne responsable des archi­ves de la ville de Wiesbaden

À la recher­che des noms perdus

L’his­toire de la recher­che et du tra­vail d’archivage

Prin­ci­pa­les sources dans les Archi­ves fédé­ra­les : L’initia­ti­ve est venue de Yad Vashem

En sep­tembre 2001, sur la base des nombreu­ses don­nées déjà dis­po­nibles, les archi­ves de la ville ont été char­gées d’u­ne enquête désor­mais sys­té­ma­tique sur les noms des Juifs dépor­tés et ass­as­si­nés à Wies­ba­den. L’ar­chi­vis­te Ger­hard Klai­ber a été char­gé de cet­te tâche. Ain­si, au cours des der­niè­res années, les travaux de recher­che, dont les ori­gi­nes remon­tent à l’a­près-guer­re et qui ont été menés par des insti­tu­ti­ons, des indi­vi­dus et des asso­cia­ti­ons, ont pu être menés à une cer­taine con­clu­si­on. Au cours de ce tra­vail, les résul­tats de l’éva­lua­ti­on des dif­fér­ents grou­pes de sources et des travaux pré­li­mi­n­aires ont été ras­sem­blés pour la pre­miè­re fois dans une base de don­nées Access dans les archi­ves de la ville et com­plé­tés par des recher­ches pro­pres, en par­ti­cu­lier aus­si dans les archi­ves dont l’uti­li­sa­ti­on était aupa­ra­vant blo­quée. La déter­mi­na­ti­on des don­nées en ques­ti­on a été ren­due dif­fi­ci­le sur­tout par le fait que la source la plus importan­te pour ce type de recher­che sur les per­son­nes, à savoir le fichier des car­tes d’en­re­gis­tre­ment des habi­tants de Wies­ba­den, avait été détruite lors d’un atten­tat à la bom­be cont­re le quar­tier géné­ral de la poli­ce en 1945.

La source prin­ci­pa­le du pro­jet était le “Gedenk­buch”. Vic­ti­mes de la per­sé­cu­ti­on des Juifs sous la tyran­nie natio­na­­le-socia­­lis­­te 1933 — 1945”. À l’initia­ti­ve du Mémo­ri­al de Jéru­sa­lem Yad Vas­hem, les Archi­ves fédé­ra­les avai­ent été char­gées en 1960 par le minist­re fédé­ral de l’In­té­ri­eur de com­pi­ler, en col­la­bo­ra­ti­on avec le Ser­vice inter­na­tio­nal de recher­ches (SIR – aujourd’hui : Archi­ves Arol­sen) basé à Bad Arol­sen, des sources sur l’his­toire de la popu­la­ti­on jui­ve en Alle­ma­gne, qui devai­ent ser­vir à l’é­la­bo­ra­ti­on d’un liv­re commémoratif.

À l’é­po­que, il était enco­re pos­si­ble d’ac­cé­der à de nombreux docu­ments sur les camps de con­cen­tra­ti­on et les lieux de déten­ti­on du régime natio­nal-socia­­lis­­te, qui étai­ent con­ser­vés au SIR. Plus tard, ces fonds ont été blo­qués pour tout type d’uti­li­sa­ti­on sci­en­ti­fi­que et n’ont été ren­dus acces­si­bles à nou­veau qu’en 2009. Les archi­ves de la RDA, qui a refu­sé de coopé­rer, n’ont pas pu être inclu­ses. Avec la repri­se des fonds des Archi­ves cen­tra­les d’É­tat de la RDA après 1990, un grand nombre de docu­ments jus­qu’a­lors non éva­lués ont donc été trans­fé­rés aux Archi­ves fédé­ra­les, où les travaux pré­pa­ra­toires à une nou­vel­le édi­ti­on du Liv­re du sou­ve­nir, con­sidé­ra­blem­ent aug­men­tée, ont com­men­cé en 1992.

À Wies­ba­den même, le bureau d’en­re­gis­tre­ment et les fonds des archi­ves muni­ci­pa­les per­met­tent de remon­ter jus­qu’à la fin des années 1940 pour ce qui est de la pré­oc­cu­pa­ti­on pour les vic­ti­mes de l’Holocauste.

Les pre­miè­res deman­des adres­sées à l’ad­mi­nis­tra­ti­on du jar­din et du cime­tiè­re de Wies­ba­den datent de 1948. Le SIR, la Com­mis­si­on fran­çai­se des sépul­tures, les insti­tu­ti­ons bel­ges, ita­li­en­nes, ang­lai­ses, amé­ri­cai­nes et aut­res ont adres­sé ces deman­des à l’ad­mi­nis­tra­ti­on muni­ci­pa­le dans le but de rapa­trier les pro­ches des natio­na­li­tés respec­ti­ves enter­rés à Wies­ba­den. Une lis­te des décès d’étran­gers, vrais­em­bla­blem­ent déjà éta­b­lie par l’Of­fice des jard­ins et des cime­tiè­res pen­dant la guer­re, con­ti­ent éga­le­ment les noms de 180 per­son­nes jui­ves qui étai­ent mor­tes à Wies­ba­den en 1942, dont envi­ron 70 per­son­nes qui se sont sui­ci­dées en rai­son du har­cè­le­ment ou en vue des dépor­ta­ti­ons immi­nen­tes. Soit dit en pas­sant, le dos­sier cor­re­spond­ant n’est par­venu aux archi­ves muni­ci­pa­les que lors­que les travaux sur la base de don­nées ont com­men­cé depuis longtemps.

Une impul­si­on nou­vel­le et tout à fait dif­fé­ren­te pour le trai­te­ment des don­nées des vic­ti­mes a été don­née par le dépu­té SPD de l’é­po­que et anci­en mai­re Rudi Schmitt (SPD). Après une visi­te au mémo­ri­al de Yad Vas­hem à Jéru­sa­lem, il a appro­ché son suc­ces­seur au pos­te de mai­re, Bernd Oschatz (CDU), en avril 1982 et a sug­gé­ré que les noms des vic­ti­mes de l’Ho­lo­caus­te de Wies­ba­den soi­ent com­pilés dans un volu­me con­çu artis­ti­quement et remis à Yad Vas­hem. Les archi­ves muni­ci­pa­les ont été char­gées de recher­cher les per­son­nes en ques­ti­on et les dates de leur vie, et à cet­te fin, elles se sont adres­sées aux Archi­ves fédé­ra­les, qui ont envoyé en juin une lis­te des “Juifs” “pour les­quels les sources dis­po­nibles indi­quai­ent Wies­ba­den, Bie­brich ou Erben­heim com­me lieu de nais­sance ou de rési­dence”. En revan­che, les Archi­ves fédé­ra­les n’ont pu four­nir aucu­ne infor­ma­ti­on sur les aut­res ban­lieues qui avai­ent été incor­po­rées à Wies­ba­den à l’é­po­que, ni sur les per­son­nes jui­ves qui n’a­vai­ent rési­dé à Wies­ba­den que pen­dant une cour­te péri­ode. Le réper­toire com­pre­nait près de 1 100 noms et a été remis à l’ens­eig­nant et his­to­ri­en local Lothar Bem­be­nek, qui tra­vail­lait sur le thè­me du “natio­nal-socia­­lis­­me à Wies­ba­den” dans le cad­re du pro­jet “La Hes­se sous le natio­nal-socia­­lis­­me” à l’In­sti­tut de Hes­se pour la pla­ni­fi­ca­ti­on de l’é­du­ca­ti­on et le déve­lo­p­pe­ment sco­lai­re. Bem­be­nek a pu com­plé­ter ses recher­ches, y com­pris dans les archi­ves polo­nai­ses, de sor­te qu’à la fin 1147 per­son­nes étai­ent con­nues. En même temps, il a souli­g­né les lacu­nes existan­tes : Par exemp­le, les Juifs de Wies­ba­den ayant la citoy­enne­té polo­nai­se ne figu­rai­ent pas sur la lis­te. En revan­che, les ban­lieues, à l’ex­cep­ti­on d’A­mö­ne­burg, de Mainz-Kas­­tel et de Mainz-Kos­t­heim, lui sem­blent avoir été entiè­re­ment enregistrées.

Remi­se en Israël : par le mai­re et le chef du con­seil municipal

Dans les mois qui ont sui­vi, le liv­re com­mé­mo­ra­tif inti­tulé “Les vic­ti­mes jui­ves du natio­nal-socia­­lis­­me 1933 — 1945 — Wies­ba­den” a été réa­li­sé en trois exem­plai­res par le cal­li­gra­phe et desi­gner Wer­ner Schnei­der, qui a ens­eig­né le design de com­mu­ni­ca­ti­on en tant que pro­fes­seur à l’uni­ver­si­té des sci­en­ces appli­quées de Wies­ba­den. Le 21 octobre 1983, la ville de Wies­ba­den a fait paraît­re une annon­ce dans “Auf­bau”, “le prin­ci­pal jour­nal ger­ma­no­pho­ne d’A­mé­ri­que”, annon­çant que la ville, sui­vant l’exemp­le d’au­t­res vil­les alle­man­des, pré­s­en­ter­ait au site com­mé­mo­ra­tif de Yad Vas­hem un volu­me con­ten­ant 1147 noms com­pilés à par­tir d’u­ne lis­te des Archi­ves fédé­ra­les. En sep­tembre 1984, ce tra­vail a été remis à Yad Vas­hem par le mai­re Dr. Hans-Joa­­chim Jentsch et le pré­si­dent du con­seil muni­ci­pal Kurt Lon­quich. Lors d’u­ne visi­te à Yad Vas­hem l’an­née sui­van­te, le Dr Jacob Gut­mark de la com­mun­au­té jui­ve a fait réa­li­ser un exem­plai­re du liv­re. En 1988, Lothar Bem­be­nek a pu remett­re à la com­mun­au­té jui­ve une lis­te de noms con­sidé­ra­blem­ent élargie.

Les travaux des Archi­ves de la ville, qui ont débu­té fin 2001, se sont d’a­bord con­cen­trés sur les noms et les don­nées des Juifs de Wies­ba­den enre­gis­trés dans la pre­miè­re édi­ti­on du Liv­re com­mé­mo­ra­tif des Archi­ves fédé­ra­les. En 2002, la com­mun­au­té jui­ve a mis à la dis­po­si­ti­on des archi­ves de la ville le fichier dit de la Gesta­po, qui devait être con­ser­vé par la com­mun­au­té à par­tir de 1938. Les Archi­ves de la ville ont reçu l’au­to­ri­sa­ti­on de copi­er ce fichier. Cet­te source con­ti­ent de pré­cieu­ses infor­ma­ti­ons sur l’ap­par­ten­an­ce fami­lia­le des per­son­nes, les dates de maria­ge, les réfé­ren­ces aux chan­ge­ments de rési­dence et à l’é­mi­gra­ti­on. Mais sur­tout, il con­ti­ent aus­si les don­nées rela­ti­ves aux expul­si­ons. Cepen­dant, ce fichier n’est pas com­plet, car il ne nom­me qu’en­vi­ron 1000 parois­si­ens qui ont été dépor­tés dans les camps de concentration.

L’é­tape sui­van­te de ce tra­vail a con­sis­té à enre­gis­trer le “car­net d’adres­ses juif” du NSDAP de Wies­ba­den de 1935, qui a été publié dans le but d’en­re­gis­trer et d’ex­clure sys­té­ma­ti­quement la popu­la­ti­on jui­ve et qui con­ti­ent envi­ron 3000 noms de per­son­nes, y com­pris ceux d’enfants.

Tout est enre­gis­tré : Fiche de la Gesta­po du Dr Dani­el Kahn-Hut.
(Illus­tra­ti­on : Com­mun­au­té jui­ve de Wiesbaden)

Aut­res sources : Car­net d’adres­ses, dos­siers d’indemnités état civil

Sur la base de ce “car­net d’adres­ses jui­ves”, il a été pos­si­ble de déter­mi­ner que le grou­pe de Juifs de natio­na­li­té polo­nai­se, qui ne figu­rait pas dans les regis­tres des Archi­ves fédé­ra­les com­pre­nait envi­ron 155 famil­les, appro­xi­ma­ti­ve­ment 470 per­son­nes. Le “fichier de la Gesta­po” révé­lait déjà les noms de 130 per­son­nes qui avai­ent fui vers les pays de l’Ouest en 1938 et 1939. Ces per­son­nes ne figu­rai­ent pas enco­re dans le Liv­re du Sou­ve­nir des Archi­ves fédé­ra­les. Au cours de l’é­té 2002, la per­son­ne en char­ge a com­men­cé à véri­fier le sort d’environ 60 000 per­son­nes qui à l’époque figu­rai­ent sur un fichier détenu par le Con­seil régio­nal, en sa qua­li­té d’Organisme d’indemnisation pour l’an­ci­en dis­trict admi­nis­tra­tif de Wies­ba­den. Les réfé­ren­ces figu­rant dans ce fichier ont per­mis de suc­ces­si­ve­ment dénom­brer envi­ron 500 dos­siers d’idemnisation. Ce tra­vail a été tem­po­rai­re­ment inter­rom­pu par le fait que les fonds ont été remis aux Archi­ves prin­ci­pa­les de l’É­tat de Hes­se à Wies­ba­den et n’ont pas immé­dia­te­ment été ren­dues dis­po­nibles. En octobre 2002, la base de don­nées des archi­ves muni­ci­pa­les comp­tait 1 225 noms de vic­ti­mes jui­ves de la tyran­nie nationale-socialiste.

En 2004, après avoir con­sul­té les ins­tances poli­ti­ques, les repré­sen­tants de la com­mun­au­té jui­ve et le « Akti­ves Muse­um Spie­gel­gas­se » (AMS, « Musée actif de la ruel­le Spie­gel » ), la Com­mis­si­on des éco­les et de la cul­tu­re a déci­dé de modi­fier la façon de pro­cé­der : désor­mais, la base de don­nées des vic­ti­mes ne com­pren­dra plus seu­le­ment les habi­tants de Wies­ba­den et les per­son­nes dépor­tées de cet­te ville, mais aus­si, les per­son­nes qui ont séjour­né tem­po­rai­re­ment à Wies­ba­den ou qui ont été envoy­ées à la mort depuis d’au­t­res endroits.

En 2001, après qu’u­ne coopé­ra­ti­on étroi­te avec un grou­pe de tra­vail de l’AMS, « Akti­ves Muse­um Spie­gel­gas­se » (AMS, « Musée actif de la ruel­le Spie­gel » ), ait été con­ve­nue, trois assistants sci­en­ti­fi­ques ont été char­gés en 2007 de pour­suiv­re des recher­ches dans le cad­re d’un pro­jet mené con­join­te­ment. Leur tâche con­sis­tait à exami­ner d’au­t­res dos­siers d’in­dem­ni­sa­ti­on ain­si que les dos­siers dits « de chan­ge » dans les Archi­ves prin­ci­pa­les de l’État. Au total, envi­ron 1 100 dos­siers indi­vi­du­els ont été exami­nés, ce qui a per­mis de cla­ri­fier le sort de 50 aut­res per­son­nes. Lors de l’é­tape sui­van­te, les don­nées de la nou­vel­le édi­ti­on élar­gie, publiée ent­­re-temps, du Liv­re du Sou­ve­nir des Archi­ves fédé­ra­les, ont été com­pa­rées avec les don­nées des archi­ves muni­ci­pa­les. De cet­te façon, envi­ron 150 noms ont pu être ajou­tés. Au cours de ces travaux, on a con­sta­té des con­tra­dic­tions ent­re les infor­ma­ti­ons des diver­ses sources et il fut déci­dé de con­sul­ter les regis­tres d’état civil afin de les éclair­cir. En out­re, jus­qu’en 2007, les docu­ments ras­sem­blés par le « Akti­ves Muse­um Spie­gel­gas­se » (AMS, « Musée actif de la ruel­le Spie­gel » ) ont été étu­diés, ent­re aut­res des let­t­res de Juifs vivant aut­re­fois à Wiesbaden.

Ent­­re-temps, le ser­vice du pro­to­co­le de la ville a éga­le­ment four­ni aux archi­ves plu­s­ieurs dos­siers sur les pro­gram­mes de visi­te, menés depuis les années 1980, pour les anci­ens rési­dents juifs de Wies­ba­den. Par­mi les docu­ments on trouve aus­si des comp­­tes-ren­­dus sur la per­sé­cu­ti­on et la dépor­ta­ti­on. L’étude des regis­tres d’é­tat civil a ensuite per­mis une nou­vel­le avan­cée signi­fi­ca­ti­ve des con­nais­sances. Bien que les don­nées soi­ent entiè­re­ment inter­di­tes à tou­te uti­li­sa­ti­on sci­en­ti­fi­que jusqu’au 1er jan­vier 2009, les Archi­ves de la ville ont reçu en 2008, de l’Of­fice juri­di­que et du ser­vice de super­vi­si­on de l’état civil, l’autorisation de con­fier à une étu­di­an­te l’étude des regis­tres des nais­sances, des maria­ges et des décès de Wies­ba­den et de ses arron­dis­se­ments pour la péri­ode de allant de 1874 à 1945. L’ac­cent a été mis sur le recen­se­ment des décès de Juifs jus­qu’en 1945. la con­ver­ge­an­ce de tou­tes ces dif­fé­ren­tes sources, a fina­le­ment per­mis de com­plé­ter la base de don­nées, qui comp­te aujourd’hui 1 507 noms.

Les recher­ches menées ces der­niè­res années ont révé­lé que 37 aut­res per­son­nes ont été ass­as­si­nées par les racis­tes nati­on­aux-socia­­lis­­tes. Ces noms doi­vent être ajou­tés à la fri­se des noms. Tou­te­fois des con­nais­sances nou­vel­les sont attendues.

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